SAINT ETIENNE: La nouvelle place de L’Hôtel de Ville ? Ou des valeurs soumises à l’épreuve du temps…

Elle est rendue aux Stéphanois (es) fin août 2013 après plus d’une année de travaux soutenus. Encore en congés, je l’apprends et je décide d’aller voir de plus près ce à quoi elle ressemble. Je m’installe à la terrasse rouverte du café Caracas…Dans ce qui va suivre, n’y voyez aucune niaiserie, ni sensiblerie, ni nostalgie, mais des regrets accompagnés de mon indignation pacifiste et citoyenne comme aurait pu le souligner Stéphane HESSEL. Regrets et indignations partagés par bien des Stéphanois (es) … Sans nul doute !

Ce qui accroche tout de suite mon regard est une vaste étendue bétonnée de près de 200 mètres qui s’étale des marches de la Mairie à la station de taxis. On devine l’emplacement de la future fontaine qui n’est pas encore installée. En face de moi, des colonnes d’acier colorées, d’environ 10 mètres de hauteur (ou un peu moins peut-être !) qui bordent la place, côté Casino. Déjà, une impression immédiate d’inconfort. En remplacement des bosquets arrachés et des cinq arbres centenaires sacrifiés, apparaissent des emplacements de verdure délimités par des petites barrières de bois de 70 centimètres de haut, réparties des deux cotés de la place. Ces espaces de verdure m’ont tout de suite fait penser à des emplacements de cimetière ; il n’y manquait plus que symboliquement, des pierres tombales avec comme épitaphe « ici gît la vieille place »…Et pour être précis, n’oublions pas la réimplantation de cinq petits arbres qui vont tenter de « survivre ».

Fin septembre, la fontaine (très attendue) est installée. Une feuille d’acier gris très métal ou une grande barque flottant sur une mer de ciment ? Allez donc savoir ce qu’ont voulu évoquer les concepteurs de cette œuvre d’art du moins énigmatique ! Bref, très souvent en panne, elle amuse beaucoup les enfants qui essayent d’attraper ses différents jets d’eau, qui reconnaissons-le, ont un certain panache lorsqu’ils montent par saccades à plus de 3 mètres. Mais mon engouement s’arrête là.

Et puis, il y a les places assises, si toutefois le passant voulait s’y attarder. Elles sont peu nombreuses. Ce ne sont pas des bancs mais des sortes de sièges fixés sur des blocs de béton imitation marbre. Deux places assises par bloc seulement et pour d’autres, une place. Tantôt l’une à côté de l’autre ou se tournant le dos. Elles sont réparties en saupoudrage sur l’ensemble de la place… La plus sollicitée est celle qui se trouve en face de la fontaine métallique (deux sièges côte à côte). Mais il faut être patient pour l’avoir et attendre son tour !

Sans être un nostalgique effréné du passé, je dois avouer que je regrette l’agencement de l’ancienne place et de sa fontaine, à même le sol, entourée d’une bordure de pierre ou chaque badaud pouvait s’y s’assoire quelques minutes, une heure, voir plus. Il m’arrivait d’échanger de tout et de rien avec des gens que je ne connaissais pas, de voir les anciens donner à manger aux pigeons, nombreux pour la circonstance et qui s’envolaient en nuée lorsqu’un enfant, amusé, voulait les attraper. Je crains d’ores-et-déjà, que ces instantanés visuels n’aient plus court !

J’ai aussi en mémoire, à l’heure de la pause de midi, que nombreux étaient ceux et celles qui s’y assoyaient presque côte à côte pour manger vite fait leur casse-croûte, à l’apparition d’un rayon de soleil, surtout en hiver. Aux beaux jours il fallait attendre les 17 heures, lorsque l’ombre recouvrait lentement cette vieille fontaine, pour que les gens viennent s’y poser à nouveau. Dans le dos un peu de fraîcheur et le son continue d’une eau apaisante.

Parfois, il faut peu de chose pour se détendre, le temps d’un instant, un répit face à des journées souvent longues d’ennui pour certains et harassantes pour d’autres.

Ce que je reproche à ceux qui ont décidé ce changement brutal d’un quotidien longtemps partagé par beaucoup d’entre nous, n’est pas le fait d’avoir voulu apporter un « coup de jeune » à cette place, ni les inconvénients que cela a entraîné à la population…ni même ce que cela a dû coûter et nous coûtera…Ce que je reproche à la municipalité actuelle, c’est d’avoir rendu aux Stéphanois (es) une place froide, sans âme, trop aseptisée à mon goût, où la rencontre, les convivialités simples qui procurent un mieux être, au cœur de notre ville, vont disparaître du fait de la suppression de ces espaces de rencontre. Ils permettaient à beaucoup d’entre nous de pouvoir s’arrêter, se ressourcer, de s’envisager… un moment…, puis de vaquer à nos occupations. Ces choses de la vie des gens de tous les jours chers à Jean LASSALE, cet homme politique et humaniste qui prend le temps de marcher à la même vitesse que les gens…Il prend le temps de la rencontre…

Cette Nouvelle place prône dans son essence même, le coté solitaire au détriment du solidaire…L’humain se confronte et se confond dorénavant à la dureté du béton, quasi omniprésent, lisse. C’est l’émergence d’une volonté politique inavouée du tout visible, du propre et du sécuritaire, face au bien-être citoyen, et qui va soumettre à l’épreuve du temps, les valeurs de solidarité, de partage, du vivre-ensemble dans sa ville.

Avec la suppression des bancs à quatre places à l’ombre des arbres et le long des bosquets, où l’on pouvait s’isoler à l’abri des regards et boire sa cannette tranquille et où parfois venaient dormir les personnes sans logement, les marginaux, certes, à la vue de tous et pas toujours appréciés… Mais rien qui ne pût mettre en péril la tranquillité citadine des Stéphanois !

Et cette fontaine enrobée d’un parterre de fleurs éclatant et luxuriant qui arrachait aux passants des clameurs de satisfaction…Fontaine avec parterre de fleurs qui s’improvisait tel un refuge provisoire pour les piafs, les merles, les pigeons et toutous en tout genre, quand elle ne servait pas d’abreuvoir aux bêtes et de jeux pour les enfants et adolescents qui essayaient de passer entre les jets d’eau sans se mouiller ; peu y arrivaient ! Et c’était des éclats de rires rafraîchis.

C’est bien la disparition annoncée d’un certain désordre poétique et rebelle que l’on pouvait observer, d’un œil amusé, une part de poésie humaine qu’aurait plébiscité et revendiqué Arthur RIMBAUD et bien d’autres poètes..!

Patrick BERGIRON

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